L'exception française
Lundi, à Londres, lors de la remise des prix au Guildhall, J'ai vu s'affronter deux visons du monde de la gastronomie. La vison française, suprématiste et individuelle et celle du reste du monde, globale et lobbyiste.
Le World's 50 Best Restaurants fête cette année ses 10 ans. Dix années qui ont vu classer de numéro 1 à 50 des restaurants dans le monde. Une idée discutable. Comparer en ne référant à aucun autre critère que celui de la subjectivité du votant (en tous cas en 2002 ! nous y reviendrons).
En 2002 , le top ten cette liste consacrait El Bulli, Gordon Ramsey, The French Laundry, Rockpool en Australie, Spoon des îles à l'île Maurice, L'Auberge de l'Ill, 1884 en Argentine (n'existe plus), the Ivy, Eigensinn Farm au Canada (n'existe plus) et Tetsua's à Sydney. Un classement hétéroclite, correspondant aussi à l'état de la planète gastronomie avant que les médias, lobby et agences de RP ne s'en emparent.
Aujourd'hui la machine 50 Best, parfaitement rodée et appuyée de très gros sponsors, orchestre ce qu'ils définissent comme les Oscar des cebrity chefs.
La fête annuelle se tient au Guildhall. Elle débute sur le parvis où les médias TV s'arrachent les les interviews des très nombreux chefs. Exception pour les français, qui boudent la fête. Seul étaient présent : l'Astrance - Pascal Barbot et Christophe Rohat, Le Chateaubriand - Inaki Aizpitrate et ses associés, La Grenouillère - Alexandre Gautier et son agent, Le Mirazur - Mauro Colagreco).
Les chefs, venus à leurs frais du monde entier, célèbrent une sincère et véritable joie à se retrouver et à partager avec les journalistes en nombre (sauf les français) et venus aussi de tous les continents.
Un cocktail bruyant et compact et puis, au pas de course - et c'est plutôt bien ainsi - les 50 résultats sous les hourra du public. S'ensuit une fête, dérive dans Londres au gré des adresses clientes de l'agence de RP qui gère l'événement. Un indice pour comprendre les rouages de la machine 50 Best.
Un cocktail bruyant et compact et puis, au pas de course - et c'est plutôt bien ainsi - les 50 résultats sous les hourra du public. S'ensuit une fête, dérive dans Londres au gré des adresses clientes de l'agence de RP qui gère l'événement. Un indice pour comprendre les rouages de la machine 50 Best.
Cette année 2012, 50 Best dispose de 837 votants pour 27 "régions" dans le monde et 31 membres par régions dont le Team Leader - Andréa Petrini pour la France.
Il apparait clairement que certaines régions ont des habitudes lobbyistes et regroupent leurs membres afin de promouvoir tel ou tel restaurant de leur région. A ce titre la Suède s'était fait remarquer/épingler pour une politique très (trop) active auprès des présidents de régions. Bonne idée sans doute, puisque deux formidables restaurants Suédois (j'y ai mangé) entrent cette année en force dans le classement : numéro 20 et nouvelle entrée, Frantzen/Lindeberg et numéro 34 et nouvelle entrée Fäviken de Magnus Nilsson. Idem pour les tables espagnoles, sud-américaines ou anglo-saxonnes qui bénéficient des appuis respectifs de parrains comme "Ferran Adria" et "Daniel Boulud".
Si l'on ajoute à cela un peu d'édition, le tour est joué pour assurer la promotion mondiale de ces celebrity et le business qui va avec. Phaedon publie les livres (Mugaritz et Fäviken en préparation) et Anna Morelli avec Cook-inc de San Pellegrino et son concept fine dining lovers (le major sponsor des 50 best) contribue elle aussi à faire circuler les messages...
Et la France ? Elle s'essaye aussi au lobbying. Fameux diner du jury français au Chateaubriand et consignes en 2010 qui avait permis son ascension de 29 places pour arriver 11 ème et de 2 places encore en 2011 pour arriver 9 ème et première table française. Même technique pour le Mirazur de l'excellent Mauro Colagreco - classé 24 et absent du classement depuis 2009 ou il était alors 35 ème. Il devient l'une des valeurs sûre du classement pour les années à venir.
Le one to watch est le choix des chefs de régions. Arbitrages en vue. Cette année le jeune chef Alexandre Gautier La Grenouillère gagne "the one to watch award". Autant dire qu'il intégrera le classement des 50 l'année prochaine (il est 81 ème cette année). S'il mérite indiscutablement son award, il est aussi le poulain de l'agent Nicolas Chatenier - Peacefull chef - lui même associé à Andréa Petrini pour le Salon Paris des chefs.
Trois jeunes restaurants de grande qualité pour représenter la France dans cette recomposition de la gastronomie hors Michelin et Bocuse d'or sont le fruit d'un lobbying actif. Une chance. Sans doute, mais que faire par exemple avec LE meilleur restaurant du monde, le Louis XV à Monaco, désormais absent du classement ? ou avec Pierre Gagnaire, Alain Passard, Pascal Barbot, Michel Troigros et tant d'autres qui ne figureront sans doute jamais dans le Top Ten. Il suffit de parcourir le monde et d'y diner pour comprendre l'impossible réconciliation d'une nourriture de lobby versus une nourriture d'âme.
La France n'a pas compris que le lobbying des autres pays pousse derrière le pays tout entier, voire une zone, comme cet efficace 50 Best Asia lancé prochainement à Singapour. Il ne s'abandonne pas aux intérêts immédiats et particuliers. Les enjeux étant globaux, la l'est bataille aussi. Les pays via des structures ad hoc comme Visit Sweden ou Singapour Tourism Board et SPICE investissent massivement pour la promotions de leurs richesses. Quitte à les "inventer" à coup de millions d'euros comme au Danemark en lançant le génial inventaire des ressources naturelles sous la férule de René Redzepi.
Hors, en France, nous ne savons pas associer les compétences globales, en revanche nous excellons à les diviser aux profits d'intérêts petits et particuliers. C'est sans doute ce que l'on nomme l'exception française !
14 commentaires:
Certes, Bruno, mais in fine quel lien y a-t-il entre la globalisation, le lobbyisme, le marketing et ce que le consommateur a réellement dans l'assiette?
Merci pour cette lettre ouverte.
Mais pourquoi faire un classement dans ce cas? Un classement, c'est forcément une compétition et si j'en déduis, les meilleurs classés le sont parce leur lobby est "meilleur" que les moins bien classés?
@ Vincent : pas de lien... Le consommateur paye !
@ anonyme. oui c'est un peu ça. Des fois cela tombe bien (La grenouillère, Mirazur, Fäviken, Frantren.linderberg et des fois tout à fait à côté. Cela aseptise la diversité et tue les pères ... (Ducasse, Gagnaire, Passard, Troigros, Bras;..)
Je comprend le point de vue, plus on parle de nous et mieux c'est - ça, tout le monde le sait - mais si c'est pour sans cesse nous éloigner de ce qui à fait notre grandeur, qu'a t'on réellement à y gagner ? (à part à ultra-court terme)
"Il suffit de parcourir le monde et d'y dîner pour comprendre l'impossible réconciliation d'une nourriture de lobby versus une nourriture d'âme."
En tout cas personnellement je ne vois pas comment ni quand je vais m'attabler, avec envie et appétit, devant une nourriture de lobby !
:-(
@Antoine, et pourtant...
@Bruno Verjus. Je suis aussi ravie de voir de "belles" tables méconnues être mises en avant internationalement.
Mais vous devez savoir que ce type de classement touche surtout le grand public et que les "professionnels", eux ne s'y trompent pas.
Quelle éducation/information/standard donne la "profession" au grand public quand il ne classe même pas un Alain Ducasse?
Je peux comprendre sans problèmes que la cuisine est bien sûr aussi une question de business mais un classement doit être un modèle rationnel dépourvu de tout parti pris!
Merci en tout cas pour votre franchise.
Bonjour Bruno,
Si j'ai bien compris, on ne peut plus se regarder dans les Yeux. Cela va devenir comme le patin à glaces ou la boxe qui ont perdu toute crédibilité aux yeux du grand public et sont devenus les fossoyeurs de leur propre discipline. Bref,les Yeux Olympiques du paraître. Vous trouvez ridicule le comportement français, mais je trouve encore plus ridicule le comportement des autres et vous cautionnez cette mascarade, cela ne vous ressemble pas, je présume. Vous qui nous éclairez de temps en temps sur des perles de la cuisine,ne serait-il pas plus bénéfique pour nous payeurs que vous nous parliez avec sincérité, passion et compétences de tous ces cuisiniers qui ne font pas le buzz et de laisser les autres à leurs compétitions bling bling. Vous trouveriez je crois plus d'adeptes que vous ne le supposez. Amicalement.
@Bruno Verjus. Je suis bien sûr très heureuse pour ces "belles" tables méconnues, mises en avant grâce à ce classement.
Mais celui-ci touche surtout le grand public. Les professionnels ne sont certainement pas dupes mais justement leur devoir n'est-il pas aussi d'informer,d'"éduquer" ce même grand public à l'art de recevoir et de cuisiner?
Je peux comprendre milles fois que la cuisine est aussi une histoire de business (un restaurant est un business) mais je parle ici de légitimité en prenant l'exemple comme vous de l'absence d'un Alain Ducasse.
Je ne dis pas qu'il est le meilleur chef du monde mais comme vous, j'estime qu'il méritait, devrait avoir une très belle place dans un World 100 ou 50 Best restaurants.
Un classement est un modèle rationnel, dépourvu de tout parti pris.
Merci en tout cas pour votre franchise.
Vous commencez votre travail de Lobbyiste pour Alain Ducasse? 4 repas en quelques mois....
@ anonyme ... Que c'est drôle ! non pas quatre mais trois repas a Monaco en 5 mois ... et vous oubliez ceux à l'Arpège, chez Barbot, chez Troisgros ... Pas encore chez Bras depuis le début de l'année;
Pas facile mon nouveau métier de lobbyiste ... hi hi
Ce que j'apprécie chez les anonymes c'est la pensée tortueuse, des méandres où ils se perdent eux-même...
@ Anonyme... Je suis flatté, mais ne suis malheureusement pas sûr que ma petite personne soit bien influente pour Alain Ducasse .... :-)))
Pourtant vous vous revendiquiez comme l'un des hommes les plus influents intra-muros. Pour Ducasse, il espérait sans doute que vous votiez pour lui dans le classement du 50 best pour espérer y rentrer...
Et la France ? Elle s'essaye aussi au lobbying. Fameux diner du jury français au Chateaubriand et consignes en 2010 qui avait permis son ascension de 29 places pour arriver 11 ème et de 2 places encore en 2011 pour arriver 9 ème et première table française.
Je serai intéressé de savoir de qui venaient ces consignes
@ Anonyme 1 ... commentaire dont l'intelligence se rapporte au courage de l'anonymat ... Je représente une voix sur 32 ou 33 ... Mon influence sur les 832 voix mondiales est de 1/832 ...
Je ne me revendique en rien influent. Je me revendique éclairé et ré-enchanteur. Deux mots qui semblent bien loin de vos préoccupations.
@ Anonyme 2
C'est écrit dans mon article.post. Vous auriez du le lire en entier avant de le commenter. C'est Andréa Pétrini qui a organisé le diner du Chateaubriand. Je n'était pas votant au 50Best cette année là
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