09 janvier 2013

Connaissez-vous blanc de lait noir de truffe ?

Photo BV
extrait de l'article pour omnivore magazine 04
Bruno Verjus : Des œuvres artistiques, des tableaux, des gestes, suscitent-il, chez vous, un élan créatif ? Contribuent-ils à la mise en scène de vos mets ou de vos assiettes ?
Michel Troisgros : Il est arrivé, par accident, une occurrence avec une œuvre et un artiste.  Je suis dingue du lait frais, j'aime ce goût. J'apprécie la texture et le goût très particulier de la peau du lait qui chauffe. Avec mon copain Hervé Mons – M.O.F fromager affineur à  Ambierle -  j'ai essayé de concevoir un caillé aussi fin que la peau du lait. Le travail du lait a été peu à peu assimilé, j'ai tenté de le mettre à plat plutôt que dans une forme – forma, fromage - C'était en hiver, j'avais de la truffe fraîche. J'apprécie cette puissance, la couleur noire, son côté noble et rustique, son esprit terreux de champignon. L'association de la terre et du lait, la pâture, la campagne, l'esprit maternel, la douceur, la blancheur, le confort, le bien-être me sont venus instantanément. J'ai fait tout simplement un caillé de lait et des truffes pilées au mortier avec un peu huile d'olive et de sel. Un pesto de truffes tiède, recouvert d'une peau de lait. Ensuite la question s'est posée de savoir ce que je faisais de ce plat. Un hors-d’œuvre, le servir au milieu du repas, avant le dessert ? Du lait mais aussi de la truffe, c'est puissant !  J'avais quatre copains à table dans leur menu dégustation , je glisse le plat en envoyant la quatrième assiette. La peau de lait, si fragile, se casse au milieu et, sous mes yeux, laisse apparaître la substance noire … Je suis attentif et embêté. Après le repas, les quatre copains me disent que l'assiette qui est arrivée ouverte au centre... était géniale.
J'ai cogité  et me suis dit : il faut la cisailler devant les clients. Le maître d'hôtel pose l'assiette et avec une lame de couteau, il ouvre la peau de lait. Le lait se dilate légèrement et l’ouverture se fait béance.
Je pratique ainsi en cuisine et me dis : je fais du Lucio Fontana sans m'en rendre compte. Le rapport aux œuvres surgit de l’inconscient, reste infusé en moi. Cette oeuvre de l'artiste italien Lucio Fontana existe : elle se nomme Concerto spaziale. Avec conscience, je me suis attaché à refaire du Lucio Fontana par la déclinaison de couleurs et de supports. Je me suis vite rendu compte que ce chantier ne m’intéressait plus. Mes influences artistiques sont induites et jamais calculées ou dérivées.  Ah oui ! le plat se nomme Plat blanc de lait et noir de truffe et je l'aime beaucoup ! 


Lucio Fontana - Concerto spaziale

1 commentaire:

Marie-Cécile a dit…

Avez vous vu le très beau film "L'invention de la cuisine" consacré à Michel Troisgros? On voit naître cette recette, c'est tout simplement merveilleux!