A table avec Quai des enfers
(extrait)
Le Baratin était le bistrot qu’on n’attendait pas en plein cœur de Belleville. Un endroit tenu par un poète qui aimait autant Beckett que le Vosne-Romanée d’Henri Roch. Entre les deux se trouvait le bonhomme, qui partageait avec le capitaine Haddock son air bourru et sa barbe.
Déjà, il fallait trouver la rue : elle faisait partie des rares trous noirs des taxis parisiens. La rue Jouye-Rouve. Pour s’en souvenir, Valparisis avait une ruse mnémotechnique : la louve rousse dont on jouit. Ça marchait à tous les coups. Quittant la kyrielle des restaurants chinois, ils tournèrent à droite et se garèrent très mal.
« Dans cette rue, le trottoir vaut parking, fit remarquer Duchesne comme pour s’excuser. Et puis le verglas c’est mauvais pour les manœuvres… »
Ils poussèrent la porte du petit bistrot bruyant et furent accueillis autant par le maître des lieux que par la dorade coryphène, plantée au mur pour l’éternité.
« Messieurs Dame bonjour. Vous êtes là, au fond, sur le banc. (Il les accompagna.) Alors… Je vous propose une petite bulle de chez Gramenon ou un verre de rouge ? » bougonna-t-il, non sans fierté.
Les policiers se regardèrent, suspendus à la décision du Dandy qui rajusta son costume à carreaux. Ils buvaient rarement en service.
« Qu’est-ce que vous nous proposez en rouge ?
— J’ai un P’tit Tannique qui Coule Bien de Puzelat.
— Ça ne va pas nous faire sombrer ça ? » plaisanta Duchesne.
Phil Pinoteau, le taulier, ignora la remarque et ramena à un discours sérieux. Le vin ne plaisantait pas.
« C’est un gamay avec du grolleau cultivé en bio dans le Cher. Sols de silex. Une belle fraîcheur aromatique, dit-il en allongeant les lèvres. On est sur le fruit.
— Allez. »
Le menu du midi à 16 euros était imbattable. Le poète faisait le marché aux aurores pour ramener à sa belle cuisinière — une Argentine — les meilleurs produits de France.
Duchesne attaquait une escabèche de caille fondante et sucrée quand Jo apparut. Pocahontas se régalait d’un saumon cru arrosé de soja, à la citronnelle et ciboulette.
« Alors les gars, on reprend des forces ?
— Attends, le prêtre arrive pour le vin, dit Duchesne qui se poussa pour lui faire une place.
— Il s’appelle comment déjà ? » chuchota Desprez à son oreille.
Le pitch
Paris, l’hiver. Noël s’approche avec l’évidence d’un spectre. Au cœur de la nuit une barque glisse sur la Seine, découverte par la Brigade fluviale à l’escale du Quai des Orfèvres. A l’intérieur, un cadavre de femme, sans identité. Sur elle, la carte de visite d’un parfumeur réputé. Une première dans l’histoire de la Brigade criminelle, qui prend en main l’enquête, Jo Desprez en tête. Mais quel esprit malade peut s’en prendre à la Seine ? Qui peut vouloir lacérer ce romantisme universel ? Exit les bateaux-mouches et les promenades. Le tueur sème la psychose : celles des naufrages sanglants.
Désormais, son ombre ne quittera plus le fleuve. S’amorce alors une longue descente funèbre qui délivre des secrets à tiroirs. Jusqu’à la nuit, la nuit totale, celle où se cache le meurtrier.
Pour le trouver, nul ne devra redouter les plongées. A chacun d’affronter ses noyades.
Ingrid Astier vit à Paris, face à la Seine, où elle soigne ses obsessions comme des animaux de compagnie. Elle aime l’anatomie, le chocolat et le vin, sans discrimination de couleur, Faith No More, Rob Zombie, Trent Reznor et Schubert. Et traîner partout, où elle ne devrait pas être.
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