L'exception française
Lundi, à Londres, lors de la remise des prix au Guildhall, J'ai vu s'affronter deux visons du monde de la gastronomie. La vison française, suprématiste et individuelle et celle du reste du monde, globale et lobbyiste.
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People: Alexandre Gauthier, Le Grenouillere and Antonella Stefanelli, San Pellegrino Restaurant name: Le Grenouillere Country: La Madelaine Sous Montreuil, France Rank: 81 Award: The One to Watch Award Location: The World's 50 Best Restaurants sponsored by S.Pellegrino & Acqua Panna, The Guildhall, London Date:30 April 2012. © |
Le World's 50 Best Restaurants fête cette année ses 10 ans. Dix années qui ont vu classer de numéro 1 à 50 des restaurants dans le monde. Une idée discutable. Comparer en ne référant à aucun autre critère que celui de la subjectivité du votant (en tous cas en 2002 ! nous y reviendrons).
En 2002 , le top ten cette liste consacrait El Bulli, Gordon Ramsey, The French Laundry, Rockpool en Australie, Spoon des îles à l'île Maurice, L'Auberge de l'Ill, 1884 en Argentine (n'existe plus), the Ivy, Eigensinn Farm au Canada (n'existe plus) et Tetsua's à Sydney. Un classement hétéroclite, correspondant aussi à l'état de la planète gastronomie avant que les médias, lobby et agences de RP ne s'en emparent.
Aujourd'hui la machine 50 Best, parfaitement rodée et appuyée de très gros sponsors, orchestre ce qu'ils définissent comme les Oscar des cebrity chefs.
La fête annuelle se tient au Guildhall. Elle débute sur le parvis où les médias TV s'arrachent les les interviews des très nombreux chefs. Exception pour les français, qui boudent la fête. Seul étaient présent : l'Astrance - Pascal Barbot et Christophe Rohat, Le Chateaubriand - Inaki Aizpitrate et ses associés, La Grenouillère - Alexandre Gautier et son agent, Le Mirazur - Mauro Colagreco).
Les chefs, venus à leurs frais du monde entier, célèbrent une sincère et véritable joie à se retrouver et à partager avec les journalistes en nombre (sauf les français) et venus aussi de tous les continents.
Un cocktail bruyant et compact et puis, au pas de course - et c'est plutôt bien ainsi - les 50 résultats sous les hourra du public. S'ensuit une fête, dérive dans Londres au gré des adresses clientes de l'agence de RP qui gère l'événement. Un indice pour comprendre les rouages de la machine 50 Best.
Cette année 2012, 50 Best dispose de 837 votants pour 27 "régions" dans le monde et 31 membres par régions dont le Team Leader - Andréa Petrini pour la France.
Il apparait clairement que certaines régions ont des habitudes lobbyistes et regroupent leurs membres afin de promouvoir tel ou tel restaurant de leur région. A ce titre la Suède s'était fait remarquer/épingler pour une politique très (trop) active auprès des présidents de régions. Bonne idée sans doute, puisque deux formidables restaurants Suédois (j'y ai mangé) entrent cette année en force dans le classement : numéro 20 et nouvelle entrée,
Frantzen/Lindeberg et numéro 34 et nouvelle entrée
Fäviken de Magnus Nilsson. Idem pour les tables espagnoles, sud-américaines ou anglo-saxonnes qui bénéficient des appuis respectifs de parrains comme "Ferran Adria" et "Daniel Boulud".
Si l'on ajoute à cela un peu d'édition, le tour est joué pour assurer la promotion mondiale de ces celebrity et le business qui va avec. Phaedon publie les livres (Mugaritz et Fäviken en préparation) et Anna Morelli avec
Cook-inc de San Pellegrino et son concept fine dining lovers (le major sponsor des 50 best) contribue elle aussi à faire circuler les messages...
Et la France ? Elle s'essaye aussi au lobbying. Fameux diner du jury français au Chateaubriand et consignes en 2010 qui avait permis son ascension de 29 places pour arriver 11 ème et de 2 places encore en 2011 pour arriver 9 ème et première table française. Même technique pour le Mirazur de l'excellent Mauro Colagreco - classé 24 et absent du classement depuis 2009 ou il était alors 35 ème. Il devient l'une des valeurs sûre du classement pour les années à venir.
Le
one to watch est le choix des chefs de régions. Arbitrages en vue. Cette année le jeune chef Alexandre Gautier
La Grenouillère gagne "the one to watch award". Autant dire qu'il intégrera le classement des 50 l'année prochaine (il est 81 ème cette année). S'il mérite indiscutablement son award, il est aussi le poulain de l'agent Nicolas Chatenier -
Peacefull chef - lui même associé à Andréa Petrini pour le Salon Paris des chefs.
Trois jeunes restaurants de grande qualité pour représenter la France dans cette recomposition de la gastronomie hors Michelin et Bocuse d'or sont le fruit d'un lobbying actif. Une chance. Sans doute, mais que faire par exemple avec LE meilleur restaurant du monde, le Louis XV à Monaco, désormais absent du classement ? ou avec Pierre Gagnaire, Alain Passard, Pascal Barbot, Michel Troigros et tant d'autres qui ne figureront sans doute jamais dans le Top Ten. Il suffit de parcourir le monde et d'y diner pour comprendre l'impossible réconciliation d'une nourriture de lobby versus une nourriture d'âme.
La France n'a pas compris que le lobbying des autres pays pousse derrière le pays tout entier, voire une zone, comme cet efficace 50 Best Asia lancé prochainement à Singapour. Il ne s'abandonne pas aux intérêts immédiats et particuliers. Les enjeux étant globaux, la l'est bataille aussi. Les pays via des structures ad hoc comme Visit Sweden ou Singapour Tourism Board et SPICE investissent massivement pour la promotions de leurs richesses. Quitte à les "inventer" à coup de millions d'euros comme au Danemark en lançant le génial inventaire des ressources naturelles sous la férule de René Redzepi.
Hors, en France, nous ne savons pas associer les compétences globales, en revanche nous excellons à les diviser aux profits d'intérêts petits et particuliers. C'est sans doute ce que l'on nomme l'exception française !