La grève et les trains fantômes pour Turin auront eu raison de ma participation à l'atelier du salone del gusto de mes amis de Slow Food de Turin pour lequel j'avais préparé cette courte présentation :
« Au milieu du grand silence, et dans le désert de l'avenue, les voitures de maraîchers montaient vers Paris, avec les cahots rythmés de leurs roues, dont les échos battaient les façades des maisons, endormies aux deux bords, derrière les lignes confuses des ormes. Un tombereau de choux et un tombereau de pois, au pont de Neuilly, s'étaient joints aux huit voitures de navets et de carottes qui descendaient de Nanterre, et les chevaux allaient tout seuls, la tête basse, de leur allure continue et paresseuse, que la montée ralentissait encore. En haut, sur la charge des légumes, allongés à plat ventre, couverts de leur limousine à petites raies noires et grises, les charretiers sommeillaient, les guides aux poignets. Un bec de gaz, au sortir d'une nappe d'ombre, éclairait les clous d'un soulier, la manche bleue d'une blouse, le bout d'une casquette, entrevus dans cette floraison énorme de bouquets rouges des carottes, des bouquets blancs des navets, des verdures débordantes des pois et de choux. Et, sur la route, sur les routes voisines, en avant et en arrière, des ronflements lointains de charrois annonçaient des convois pareils, tout un arrivage traversant les ténèbres et le gros sommeil de deux heure du matin, berçant la ville noire du bruit de cette nourriture qui passait. »
Ce texte de 1873, constitue l'incipit (le premier paragraphe) du troisième roman de la série des Rougon-Macquart, d'Emile Zola : Le Ventre de Paris.
Les Halles Baltar, construites par Victor Baltar entre 1854 et 1870 sont au coeur de l'ouvrage. Il ne faut pas s'y méprendre si le ventre qualifie bien ces Halles qui nourrissent le riche Paris, Emile Zola oppose ventre et coeur, gras et maigre; Florent (le héros) le bagnard, l'homme maigre au grand coeur, face aux gras bourgeois seulement pourvus d'un (gros) ventre.
Détruites en 1971, les Halles de Paris ont le ventre bien creux... : une piscine, quelques commerces en franchise et beaucoup de désolation.
En revanche les légumes traversent toujours Neuilly, Nanterre Ivry ou Bagnolet. Cette fois à bord d'une estafette blanche pilotée par deux héros bien contemporains : Alexandre Drouard et Samuel Nahon de Terroirs d'Avenir.
Ainsi les choux de Pontoise de Laurent Berrurier, les champignons de Paris de Grégory Spinelli, la menthe poivrée de Catherine Bosc-Bierne à Milly la Forêt, les poires et les cerises de Marc Surgis à Vernouillet, le cresson de Serge Barberon, producteur dans l'Essonne à Méréville, les volailles gâtinaises des Morisseau à Aufferville (Seine et Marne), les asperges d'Argenteuil, les pissenlits de Montmagny, la rhubarbe de Villebon-sur-Yvette, brie de Meaux, Jambon de Paris, et même la « miraculée » poule de Houdan arrivent quotidiennement pour NOURRIR PARIS.
Ainsi promus, avec un circuit de distribution court et valorisant, « les légumes ayant vraiment poussés dans la terre et mûri au soleil » comme le demandait Jean-François Revel, ces produits des terroirs parisiens peuvent conquérir les plus belles tables et re-naître aux palais des gourmands, sans autre alibi que celui du goût.
Homme de goût, justement, Yannick Alléno, le chef triplement étoilé du Meurice, ne s'y est pas trompé. Il aime les produits de « nostalgie », ceux qui ont offert la beauté parisienne à la grande cuisine. Ses assiettes sont « réflexion et sensibilité extrême dans l'expression des saveurs de produits choisis avec discernement » dit avec grâce et gourmandise Jean-Caude Ribaut, journaliste au Monde et Co-auteur de la Feuille de chou, facsimilé de journal qui accompagne avec panache le nouvel ouvrage (en signature ici) du chef Yannick Alléno, Terroir Parisien.
Alors quittons les mots pour les mets. Je vous propose de découvrir et goûter ici et maintenant les terroirs parisiens de Yannick Alléno et Terroirs d'Avenir.
Bruno Verjus